Recherche
Chroniques
György Kurtág – György Ligeti
œuvres avec orchestre
Le 31 janvier 2009, dans la Salle Zankel du Carnegie Hall (New York) furent données des œuvres signées György Ligeti (1923-2006) et György Kurtág (né en 1926), dans le cadre du cycle Extremely Hungary. À l’exception de Síppal, dobbal, nádihegedüvel (ultime partition du premier) et Szálkák (solo du second, joué par le cymbaliste Ildikó Vékony, aujourd’hui disparu), cet enregistrement témoigne d’un concert attachant où la musique des deux amis de longue date était défendue par un troisième Hongrois non moins célèbre : Péter Eötvös, à la tête de l’Ensemble Umze.
L’aînée des pièces au programme, le Concerto pour violoncelle (1966), est conçue par Ligeti en deux mouvements où se révèlent d’abord une lente gradation, avec un champ sonore s’élargissant pour atteindre des espaces extrêmes (« je voulais ici obtenir un effet donnant l’impression que la musique pouvait éclater à chaque instant comme une bulle de savon ») ; puis la conclusion au caractère contradictoire, mêlant mouvements rapides et fièvre musicale. Quelques mois avant de revenir jouer Bartók dans le pays qui l’a fait Chevalier de l’ordre des arts et des lettres [lire notre chronique du 19 septembre 2011], Miklós Perényi s’empare de cette partition délicate et périlleuse.
Cinq ans plus tard, Melodien (1971) célèbre Dürer à Nuremberg, ville où naquit le peintre cinq siècles plus tôt. Dans cette œuvre d’une dizaine de minutes, où motifs et thèmes laissent placent à l’ébauche, on peut voir « la transformation en musique d’un processus physique ou chimique » (Zoltán Farkas) ou « une coupe de quelque chose déjà commencé depuis toujours » (Jean Noël Von der Weid). Célesta, carillon et crotales offrent une lumière argentée à ce bouillonnement kaléidoscopique qui n’est pas sans trahir le goût de Ligeti pour le « folklore synthétique » (Bartók).
À partir des années soixante-dix, Kurtág combine son emploi de l’orchestre (venu tard, en partie faute de soutien institutionnel) à son goût pour le russe, langue de l’intimité dévoilant l’âme féminine. Entre 1976 et 1980, il élabore Messages de feu Demoiselle R.V. Troussova Op.17 (1981), cantate de chambre pour soprano et ensemble, d’après vingt-et-un poèmes de Rimma Dalos qui immortalisent un amour échoué, entre solitude de l’amante et désir inassouvi.
Dans ces fragments aux ambiances riches et contrastée, durant chacun entre trente secondes à trois minutes, le soprano moscovite Natalia Zagorinskaïa offre d’une voix souple, expressive et charnelle, toute une gamme de sentiments. On croise tour à tour une ivresse chaloupée, un rire nerveux, une urgence à évoquer le cri animal ou la morsure érotique, un lamento en decrescendo pour dire la mort des fleurs à l’automne, etc.
Pour finir, ce concert met à l’honneur une autre poétesse, avec, en première mondiale, Quatre poèmes d’Anna Akhmatova Op.41 – une œuvre en chantier depuis 1997. Ici, la voix vise à l’épure, mais sans renoncer à l’expression dramatique. Pourquoi changer de soprano quand Natalia Zagorinskaïa excelle à chanter le XXe siècle (Barraqué, Boulez, Castiglioni, Dallapiccola, Denisov, Nono, etc.) ? Plus homogène que le cycle évoqué plus tôt, celui-ci joue peu sur les contrastes pour servir une mélancolie générale, liée au souvenir de Pouchkine, Blok et Mandelstam – même si une sirène d’alarme nous saisit, au moment d’évoquer ce dernier.
LB